Il y a des preuves, beaucoup de preuves. Mais ce qui compte comme preuve aux yeux des gens dépend de nombreux facteurs. Cette affirmation est une vérité élémentaire sur le fonctionnement de la raison et de la rationalité, et elle est tout aussi vraie pour les affirmations religieuses que pour les affirmations scientifiques (ou mathématiques).
Faisons une petite expérience de pensée.
Imaginez que vous êtes un scientifique vivant dans un monde parallèle. Dans ce monde, la grande majorité de la population est farouchement opposée à la science. Dès le plus jeune âge, on apprend aux gens à se méfier de la science, à regarder les scientifiques de haut et à considérer la science elle-même comme étant au mieux du charlatanisme, au pire un culte de la mort en insistant sur toutes les fois où les scientifiques se sont trompés et à toutes les mauvaises choses que la science à apporté (comme la bombe nucléaire et autres armes de destructions atroces).
Dans ce monde, bien sûr, il n’y a pas d’enseignement scientifique institutionnalisé. La grande majorité des gens n’ont aucune exposition à la science à l’école en grandissant. Il en résulte un grave manque de culture scientifique dans la population générale. Mais l’ignorance est plus profonde que cela, car même les universités sont contre la science. La grande majorité des professeurs d’université et des spécialistes du monde entier considèrent la science avec un mépris sarcastique.
La seule façon d’étudier les sciences est d’aller dans de petites écoles indépendantes, sous-financées et manquant de personnel, dispersées dans le monde entier. Étudier dans ces écoles exige de grands sacrifices personnels et financiers de la part des étudiants, ce qui signifie que très peu de scientifiques légitimes sont formés par rapport à la taille de la population.
Pour une raison quelconque dans ce monde, les gens ont la conviction que brûler des forêts est excellent pour le climat mondial.
En tant que scientifique, vous savez ce qu’il en est. Vous dites aux gens que le fait de brûler les forêts du monde va provoquer une catastrophe environnementale. La plupart des gens se moquent de vous et ignorent tout ce que vous avez à dire étant donné que vous n’êtes qu’un scientifique fou. D’autres sont plus respectueux et vous disent que vous avez le droit de croire ce que vous voulez tant que vous n’essayez pas d’imposer vos croyances aux autres en insistant, par exemple, sur le fait qu’elles sont vraies.
Mais il y a des sceptiques qui aiment troller les scientifiques en faisant semblant de s’intéresser à leur avis. Ils entament donc un dialogue avec vous. Et ils exigent des preuves. Comment savez-vous que le fait de brûler des forêts conduira à un désastre ? Où sont les preuves ?
Maintenant, vous pourriez être enclin à leur expliquer ce qu’est le gaz à effet de serre. Mais, bien sûr, ces gens ne connaissent absolument rien à la chimie, à la physique ou à la biologie. Vous pourriez essayer de leur expliquer comment le CO2 emprisonne la chaleur, mais ils n’ont aucune idée de ce que sont les éléments chimiques, sans parler du CO2. Vous pourriez leur expliquer comment les arbres emprisonnent le CO2 et dégagent de l’oxygène et comment les êtres vivants comme les humains ont besoin d’oxygène, mais ils vous demanderaient alors la preuve de tout cela. Vous pourriez donc essayer d’expliquer quelques notions de chimie de base, mais bien sûr, cela ne suffit pas car, en fin de compte, la chimie, en tant qu’ensemble de connaissances empiriques, repose sur la physique moléculaire. Il vous faudra donc expliquer cela et justifier pourquoi c’est épistémologiquement fiable. Et lorsqu’il s’agit de comprendre la physique moléculaire, il faut une connaissance pratique de la physique nucléaire, et ainsi de suite.
Il est évident que ces sceptiques ne comprendront que très peu de choses que vous pourriez expliquer, et encore moins supposer que ce que vous dites est vrai. Après tout, ces personnes avaient des doutes sur votre affirmation initiale en tant que scientifique : rien ne les rendrait moins sceptiques sur les autres affirmations que vous auriez à faire sur la science qui justifie cette affirmation initiale.
Maintenant, vous pourriez leur dire : écoutez, si vous voulez savoir avec certitude comment je sais que brûler des forêts est une mauvaise idée, vous devez suivre une formation scientifique approfondie et faire quelques expériences de base, puis vous lancer dans des études plus poussées, etc.
Les sceptiques vous rient alors à la figure.
Fin de notre petite expérience de pensée.
La leçon à retenir ici est que ce qui compte comme preuve, c’est-à-dire des preuves irréfutables qui justifient une croyance, nécessite un gigantesque ensemble de connaissances contextuelles. Dans les discussions sur la science, cet ensemble de connaissances contextuelles est simplement supposé sur la base d’une autorité scientifique. Les gens font confiance aux scientifiques pour savoir de quoi ils parlent, ils ne les pousseront donc pas trop loin pour justifier chaque chose.
Mais lorsque ces mêmes personnes parlent de Dieu, le scepticisme atteint un tout autre niveau, car la religion n’a aucune autorité intellectuelle ou épistémique dans le monde laïque dans lequel nous vivons.
Il existe de nombreuses preuves de l’existence de Dieu, des preuves bien plus convaincantes, cohérentes et “objectives” que tout ce qui existe dans la science empirique. Mais deux choses empêchent les gens de le reconnaître.
Premièrement, la connaissance conceptuelle n’existe pas. L’éducation islamique est inexistante dans la plupart des pays du monde, y compris pour les musulmans. Au contraire, les musulmans du monde entier sont éduqués selon des écoles laïques dans lesquelles la religion est secondaire ou totalement absente, quand elle n’est pas carrément dénigrée. Il est évident que cela aura un impact sur la capacité des gens à arriver intellectuellement à la conviction de l’existence d’Allah et de la vérité de l’Islam.
Et comme si cela ne suffisait pas, le deuxième facteur d’entrave est une opposition très active à la religion, le courant anti-religieux et plus spécifiquement anti-musulman qui imprègne la culture, les médias, le monde universitaire, etc.
Les preuves de l’existence d’Allah et de la vérité de l’Islam proviennent de différentes sources qui se renforcent mutuellement. C’est ainsi que fonctionne tout ensemble de connaissances, y compris les connaissances scientifiques, comme l’exemple ci-dessus visait à le montrer. Un sceptique peut miner n’importe quel point de connaissance spécifique, mais il peut le faire qu’en raison de son ignorance du contexte plus large, du paradigme, de l’épistémè, de la structure de plausibilité ou du réseau de croyances (ou de tout autre terme philosophique ou sociologique que vous voulez utiliser).
Daniel Haqiqatjou