Fiche de lecture du livre d’Amir Nour « L’Islam et l’ordre du monde: le testament de Malek BENNABI”

FICHE DE LECTURE du livre d’Amir NOUR « L’Islam et l’ordre du monde: le testament de Malek BENNABI », paru aux éditions Héritage, Paris, février 2022.

L’on rapporte qu’une ancienne malédiction chinoise proclamait « Puissiez-vous vivre à une époque intéressante », sous-entendu par là des temps de crise ou de grandes turbulences.
Assurément, nous vivons pleinement aujourd’hui dans pareilles circonstances. Cette situation n’a rien de nouveau ni de surprenant au regard de la cyclicité des crises que le mouvement de l’Histoire n’a eu de cesse d’enregistrer dans toutes les contrées du monde, y compris dans sa partie supposément la plus moderne et la plus développée. Ce qui a fait dire au grand penseur Malek BENNABI: « La crise dans laquelle se débat encore le monde tient au fait qu’on ne semble pas, en dehors de la voie qui conduit à une impasse, trouver d’autre voie que celle qui mène à une autre ».
Ce qui est, en revanche, nouveau et particulièrement angoissant par rapport à la crise du monde actuel est son caractère à la fois multiforme et paradoxal. Elle est multiforme car elle affecte négativement tous les aspects de l’activité humaine; et elle est paradoxale du fait qu’elle est avant tout une « crise de sens » qui intervient à un moment où les progrès fabuleux de la science et de la technologie dans tous les domaines ont atteint des sommets jamais égalés dans l’histoire de l’humanité. Des progrès qui ont cette singulière particularité de permettre de prolonger la vie des Hommes en la rendant meilleure et plus confortable que jamais auparavant, mais aussi de générer des moyens capables de mettre un terme brutal à toute vie humaine sur notre planète, notamment au travers de l’effrayant arsenal nucléaire accumulé par les Etats les plus puissants de ce monde, ou encore par suite d’un retour de manivelle que pourraient induire, à tout moment désormais, les dégâts incommensurables causés par l’Homme à l’environnement. Il n’y a qu’à méditer à ce sujet le fait que plus de la moitié des scientifiques et des ingénieurs travaillent aujourd’hui directement pour les ministères de la défense ou grace à des financements qui leur sont généreusement accordés pour des recherches liées aux différentes applications militaires.
Dans cet essai, Amir NOUR, chercheur algérien en relations internationales, apporte une contribution significative et bienvenue au débat sur un sujet d’actualité rendu encore plus aigu et pressant par le choc soudain et substantiel occasionné par les implications géopolitiques de la COVID-19 à un ordre mondial conçu, façonné et érigé dans une large mesure par les États-Unis d’Amérique et leurs alliés au lendemain de leur victoire durant la Seconde Guerre mondiale. Depuis lors, nous explique l’auteur, cet ordre a connu une érosion constante; il est à présent brutalement remis en question, tant et si bien que le fameux théoricien politique de l’université de Stanford et auteur du best-seller « La fin de l’histoire et le dernier homme », Francis FUKUYAMA, avoue n’avoir « jamais vu une période où le degré d’incertitude quant à l’aspect politique que prendra le monde de demain est plus grand qu’aujourd’hui ».

A ce jour, cette terrible pandémie a affecté plus de 450 millions de personnes, a coûté la vie à plus de six millions d’autres et provoqué des ravages socio-économiques partout dans le monde. De même, la gestion chaotique des efforts de lutte contre cette pandémie, tant dans les pays développés que dans ceux en développement, a mis en lumière des questions fondamentales sur la compétence des gouvernements, la montée du nationalisme populiste, la mise à l’écart de l’expertise, le déclin du multilatéralisme et jusqu’à la remise en cause de la validité du concept de « démocratie libérale ».

L’auteur entreprend cet exercice d’analyse de « l’ordre du monde » (et non pas seulement de « l’ordre mondial ») dans des conditions d’autant plus difficiles et complexes que les fondations sur lesquelles reposait le paradigme traditionnellement adopté par les spécialistes pour expliquer le système des relations internationales ont lourdement cédé sous le poids, la violence et la rapidité des soubresauts des événements mondiaux. En effet, si le XXe siècle et le « Vieux continent » ont été le berceau d’un grand nombre d’idéologies et « smes » ayant représenté l’alpha et l’oméga du dictionnaire géopolitique universel, le début du XXIe siècle en a indubitablement constitué le cimetière. Et, une fois de plus, l’Histoire prend une tournure inattendue; la dernière de ces victimes expiatoires est désormais le credo du « libéralisme » qui, il n’y a pas si longtemps pourtant, ayant asséné avec succès un coup fatal à son redoutable adversaire communiste, semblait promis à durer éternellement.

Amir NOUR aborde sa problématique selon une perspective islamique et une étude rétroprospective au moyen, notamment, d’une contextualisation de la pensée de Malek BENNABI corroborée, par ailleurs, par un large éventail de livres, d’études multidisciplinaires et de sondages d’opinions récents.

Une composante essentielle dans cette nouvelle configuration géopolitique mondiale est, tout naturellement, réservée à la place et au rôle qu’y occupe l’Islam et à sa relation, fort malheureusement très souvent conflictuelle, avec l’Occident, en particulier depuis les évènements monumentaux du 11 Septembre 2001 et leurs effets néfastes qui continuent de se faire sentir à l’échelle du globe. L’auteur nous explique que l’Islam, en tant que religion et civilisation, est aujourd’hui, plus que jamais auparavant, accusé par certains d’être à l’origine de nombreux maux et s’est de ce fait mué en « islamofascisme », un nouvel « ennemi juré » qu’une puissante « coalition de volontaires » est déterminée à affronter par tous les moyens disponibles dans le cadre d’une « Quatrième Guerre mondiale » annoncée principalement par les adeptes du « choc des civilisations ». Il tente, tout au long des six chapitres et des annexes composant le livre de répondre à des questions essentielles, au premier rang desquelles figurent le rôle et la mission du Musulman dans le monde de demain, en particulier au vu de ce qui semble être le crépuscule de l’âge des empires et l’aube d’une ère numérique, dans un contexte de « vide moral » qu’un renouveau spirituel salvateur tente perceptiblement de combler à l’échelle planétaire.

Le caractère novateur de son approche, de même que les conclusions auxquelles il aboutit, transparaissent d’emblée à travers le titre de l’ouvrage: « L’Islam et l’ordre du monde », un choix qui semble être une réplique au livre-phare d’Henry KISSINGER, traduit en français et paru aux éditions FAYARD sous le titre « L’Ordre du monde ».

S’inscrivant en droite ligne de la vision humaniste et universaliste de Malek BENNABI, le message principal que tente de faire passer l’auteur de cet essai est que nos décideurs se doivent impérativement et urgemment de réfléchir aux meilleurs voies et moyens de faire de la crise mondiale actuelle une opportunité de changement positif global. En effet, comme le soulignait Malek BENNABI au milieu du siècle passé déjà, une grande pitié de soi-même et de tout ce qui est humain doit inspirer ceux qui gouvernent, en sachant que sous la plus grande perversion il y a toujours une possibilité de rédemption et sous l’apparence de la force il y a toujours une grande faiblesse qui résume les faiblesses humaines; le pouvoir, ajoute-t-il, requiert de plus en plus les plus hautes qualités morales et l’homme qui voudra gouverner des hommes devra, plus que jamais, avoir une âme d’apôtre et des entrailles de père.

Ce message ne s’adresse pas seulement aux dirigeants musulmans, mais aussi à ceux du monde entier. Une responsabilité particulière incombe à l’Occident d’une manière générale et à l’Europe plus spécifiquement. Pour le bien comme pour le mal, le choix qu’opérera l’Europe a encore une importance mondiale historique. Face à cette perspective, nous dit BENNABI, on ne doit pas laisser le Vieux continent se replier sur son axe et se retirer du monde qu’il ne peut plus dominer; il faudrait, au contraire, lui montrer que sa sécurité ne dépend pas de la puissance, mais du développement de sa conscience dans la dimension d’autrui et de son génie en harmonie avec les tendances actuelles et un intérêt supérieur humain, car « on ne peut pas s’engager dans l’ère œcuménique avec les complexes légués par le colonialisme et la colonisabilité ».

Pour paraphraser Noam CHOMSKY, nous nous devons de nous demander quel monde sortira de cette crise et quel est le monde dans lequel nous voulons vivre. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que les humains pourront valablement négocier les termes de leur survie en ce troisième millénaire de tous les défis et, ce faisant, augmenter leurs chances d’atteindre le quatrième.
Peu importe, à cet effet, que les vents de la délivrance soufflent de l’Orient ou de l’Occident car, comme l’affirme Malek BENNABI, cette délivrance « est un don de Dieu pour l’humanité tout entière ».

2 commentaires

  • Très intéressant !

    Merci à Amir Nour pour cet essai, qui est une oeuvre de maitre !

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