Quelle est la méthodologie utilisée dans la traduction du Mouwatta’!

Remarques méthodologiques

Nous avons utilisé pour notre traduction l’édition du Muwatta’ faite par les soins d’un des plus éminents savants du hadith et l’un des meilleurs recenseurs -muhaqqiq- des manuscrits dans ce domaine, à savoir le Dr Muhammad Mustafâ al-A‘zamî. Il s’est fondé pour cette édition sur un manuscrit datant de 613H/1216 apr. J.-C se trouvant à la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc sous le numéro g 807. C’est un manuscrit sur peau de gazelle de trois cent cinquante six pages. L’écriture y est fine et en style maghrébin et comporte les points diacritiques et les signes indiquant les voyelles courtes. Après des recherches fastidieuses et un long périple dans les bibliothèques de nombreux pays, le Dr Mustafâ al-A‘zamî a conclu que ce manuscrit est vraiment précieux du fait qu’il est complet, moins usé et comportant à sa marge des indications sur certaines variantes qui se trouvent dans les autres versions du Muwatta’.
Nous avons reproduit l’intégralité du texte en arabe tel qu’il a été édité par le Dr Mustafâ al-A‘zamî -mais sans les quelques notes qui se trouvent à sa marge-. Le lecteur remarquera que nous avons mis une page en français et à sa droite une page en arabe. La page en français est une traduction de la page correspondante en arabe.

Pour ne pas surcharger notre livre et pour des raisons techniques, nous n’avons pas transcrit les notes qui étaient à la marge du manuscrit mais nous en avons traduit quelques-unes en cas de besoin. De même nous n’avons pas transcrit les notes du Dr Mustafâ al-A‘zamî quoique nous en ayons indiquées celles qui nous paraissaient intéressantes dans notre traduction. Nous avons choisi de mettre des notes qui sont le fruit de nos propres recherches. La raison en est que nous nous adressons à un lectorat francophone ayant sa propre culture, auquel nous voulons rendre accessible ce chef d’œuvre qu’est le Muwatta’ et que nous voulons familiariser avec ses questions et ses mots techniques. Nous espérons qu’il servira de référence, de précurseur et de source d’inspiration pour la production d’autres œuvres instructives et parfaites.
En ce qui concerne l’ordre des livres (sections) du Muwatta’ et leur nombre qui diffèrent selon les manuscrits, nous avons respecté ceux de l’édition de Muhammad Fu’âd ‘Abd al-Bâqî -m. 2 février 1968-. La raison en est que cette édition est la plus répandue et la plus étudiée et le fait de changer cet ordre ne nous paraît pas pédagogique. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé le Dr al-A‘zamî à ne pas respecter lui aussi l’ordre qui se trouve dans le manuscrit.
Exemple : Dans l’édition de Muhammad Fu’âd ‘Abd al-Bâqî, le livre du partage de la succession est suivi du livre du mariage, tandis que dans le manuscrit recensé par le Dr al-A‘zamî le livre du partage de la succession est suivi du livre de l’affranchissement et du patronat.
Nous avons également respecté, pour la même raison, la numérotation de l’édition de Muhammad Fu’âd ‘Abd al-Bâqî. Celui-ci l’a empruntée de l’ouvrage Concordance et Indices de la tradition musulmane qu’a commencé l’orientaliste hollandais Arent Jan Wensinck -m. 1939- et qui fut complété par d’autres.

Quelqu’un pourrait émettre l’objection suivante : « Vous avez adopté la numérotation de l’édition de Muhammad Fu’âd ‘Abd al-Bâqî, mais vous ne l’avez pas utilisée dans votre traduction. Quelle en est la raison ? ».
A cette objection nous répondons que notre souci est de faire une traduction fidèle à un manuscrit qui remonte à la version la plus reconnue du Muwatta’, à savoir celle de Yahyâ Ibn Yahyâ al-Laythî. Quand nous trouvons dans les livres d’exégèse ou d’autres livres une remarque faite par les savants sur une erreur dans la chaîne de transmission ou dans les termes d’un hadith, ou d’une tradition, ou d’une fatwa dans cette version, nous citons cette remarque dans une note de bas de page sans prendre l’initiative de corriger « cette erreur ». Pour être plus clairs, nous ne changeons rien au texte du manuscrit. C’est d’ailleurs de cette manière que procèdent les recenseurs des manuscrits. Or le professeur Muhammad Fu’âd ‘Abd al-Bâqî s’est servi de cinq manuscrits du Muwatta’. Il a consigné dans son édition tous les textes qui sont identiques dans les cinq manuscrits et quand il trouve des variantes, il fait prévaloir ce qui se trouve dans le livre d’exégèse d’al-Zurqânî et l’attribue à Yahyâ Ibn Yahyâ. Cette méthode lui a valu les critiques des savants du hadith et des recenseurs des manuscrits, notamment le Dr Bashshâr Ma‘rûf ‘Awwâd qui lui a reproché d’avoir enfreint les règles de la recension adoptées aussi bien par les chercheurs musulmans que par les orientalistes. Quoiqu’il en soit, cela ne diminue en rien la valeur de cet éminent professeur qui a rendu d’énormes services à la Sunna prophétique.

Nous avons procédé à une recension des hadiths et des traditions qui se trouvent dans cette version du Muwatta’. Nous avons cité les principaux recueils dans lesquels ils se trouvent et qui peuvent être le sahîh d’al-Bukhârî, le sahîh de Muslim, les recueils dits al-sunan, le musnad de l’imâm Ahmad ou d’autres.
En ce qui concerne les hadiths mursal, les hadiths comportant plusieurs interruptions dans leur chaîne, les balâgh de Mâlik, quand nous trouvons dans les autres recueils ou les livres d’exégèse ces mêmes hadiths rapportés avec des chaînes complètes et sûres, nous citons ces références sous forme de notes de bas de page.
Nous avons émaillé cette œuvre d’explications de certains mots et phrases, d’éclaircissements, d’exemples, de petits commentaires, de certains avis par lesquels l’école malékite s’est distinguée des autres écoles, etc. Tout cela sous forme de notes servant en quelque sorte de repères et d’éclairs de clairvoyance qui orientent le lecteur.

Du début à la fin de cette traduction, nous avons constamment eu recours aux livres d’exégèse. Il a fallu lire attentivement le commentaire du texte dans les livres al-tamhîd et al-istidhkâr d’Ibn ‘Abd al-Barr, puis dans al-muntaqâ d’al-Bâjî, puis dans al-qabas d’Ibn al-‘Arabî al-Mu‘âfirî, puis dans le livre d’exégèse d’al-Zurqânî, puis dans d’autres livres d’exégèse. Il a fallu ensuite écouter des enregistrements de cours expliquant le Muwatta’ faits par les savants contemporains, notamment ceux de l’érudit ‘Atiyya Ibn Muhammad Sâlim -m. 1999- qui m’ont été d’un grand secours, ceux du shaykh Mustafâ al-Bîhyâwî, ceux du Dr Saïd al-Kamali et ceux du Dr Abû Bakr al-Sa‘dâwî. Tout cela afin de trouver le sens pertinent pour devoir ensuite surmonter un autre obstacle qui est celui de la terminologie avant de passer à la traduction. Nous nous sommes heurtés en effet à des écueils glissants d’ordre terminologique, surtout que ce livre traite de différents thèmes ayant chacun sa propre terminologie : le culte, les opérations commerciales, les règles de succession, le droit pénal, le droit des contrats, l’éthique, etc. Nous ne disposons malheureusement pas de lexiques, ou de dictionnaires, ou de concordances, ou de synopses et les travaux terminologiques manquent terriblement dans le monde musulman. Les seuls travaux qui existent sont ceux des orientalistes.
Puisque le Muwatta’ est un livre de hadith et de fiqh, on risque de prendre un nom employé dans son sens courant chez les Arabes et le traduire d’après le vocabulaire des jurisconsultes et vice versa. Beaucoup de pieds de traducteurs ont glissé au seuil de cette question. Prenons comme exemple la tradition suivante (n° 1474) :

Mâlik rapporte qu’il lui est parvenu que ‘Umar Ibn al-Khattâb t a dit : « Le témoignage des personnes en conflit avec le défendeur et le témoignage des personnes dont l’impartialité est douteuse ne sont pas recevables -zanîn- ».
Certains traducteurs ont compris ce terme zanîn selon le vocabulaire des juristes, c’est-à-dire « l’accusé » ou « le coupable ». Or c’est d’après son emploi en langue arabe qu’il faut le comprendre au départ, à savoir quelqu’un au sujet duquel on a des doutes, et puisqu’on est dans un contexte de témoignage, il s’agit de quelqu’un dont le témoignage suscite des doutes. D’où notre traduction « et le témoignage des personnes dont l’impartialité est douteuse » comme les descendants de l’accusé, ses ascendants et sa conjointe.
Le livre des ventes a été particulièrement difficile. La raison en est que l’imâm Mâlik est allé loin dans les détails et a traité des questions subtiles de vente. A cette difficulté s’ajoute le style qui est ancien et qui a la particularité d’user de concision, ce qui nous pousse souvent à chercher à mette en évidence les termes sous-entendus pour les traduire.

Je tiens à remercier l’éditeur (Bilal) de m’avoir proposé la traduction de ce chef d’œuvre, de la confiance qu’il m’a accordée et de m’avoir donné suffisamment de temps pour réaliser ce sublime projet. Je remercie le frère Mohamed Hicham pour sa révision de ma traduction et le travail technique qu’il a fourni. Je remercie mes amis et voisins Hassan Taleb, le président de la branche de la littérature à l’Université Ibn Zohr à Agadir, et le Dr Tayeb Chtab pour les conseils qu’ils m’ont prodigués.
Je prie Allah de nous pardonner pour toute erreur éventuelle, de faire de ce travail une œuvre purement consacrée à Son noble visage et d’en faire profiter le traducteur et toute personne ayant collaboré dans sa réalisation et son lecteur car Il est Celui qui entend les prières, qui mérite seul qu’on recourt à Lui et qui est le meilleur Garant.

Ecrit par l’humble serviteur d’Allah, qui aspire à Son absolution et à Son indulgence : Mohammed KARIMI, qu’Allah lui pardonne, ainsi qu’à sa mère, son père et aux croyants.

couverture de la Muwatta aux éditions Al Bayyinah